Au cours des dix dernières années, nous avons côtoyé au plus près et accompagné les décideurs politiques en Afrique de l’Ouest à naviguer les processus décisionnels (politiques, programmes, plans et projets) à la lumière des données probantes. Au fil de ces années de collaboration, la question de la légitimité des organisations comme ACED est devenue une préoccupation insistante et constamment évoquée par les décideurs politiques et ceci de façon invariable quel que soit le pays. La question se pose en ces termes : Qui êtes-vous et qu’est-ce qui vous fonde à jouer ce rôle, puis à nous dire ce qui est mieux à faire pour notre communauté ?
Avant toute chose, il est important de clarifier qu’il ne s’agit pas d’hostilité, ni de défiance envers nous, encore moins du désintérêt pour l’approche. Au contraire, et pour preuve, nous avons toujours été bien reçus et avons eu une longue et fructueuse collaboration avec les décideurs politiques dans ces pays. Il s’agit plus d’une posture, d’une vision, d’une conception mentale de comment les décideurs politiques voient les think tanks qui interviennent dans l’écosystème des données probantes en Afrique de l’Ouest. La question de légitimité est devenue très préoccupante et fondationnelle pour les interventions des think tanks en Afrique, surtout dans le contexte d’élan souverainiste et d’auto-détermination des décideurs politiques en Afrique de l’Ouest.
La légitimité fait référence à la qualité de ce qui fondé sur le droit, la justice, l’équité, les normes et croyances, et donc sur des traditions sociales et politiques. Elle traduit une reconnaissance sociale et in fine une acceptation de ce que l’on considère comme conforme aux règles, justes et équitables. Ainsi, en questionnant notre légitimité, les décideurs politiques veulent se convaincre d’avoir devant eux un acteur qualifié pour le rôle qu’il prétend vouloir jouer, et s’assurer que nous ne souffrons d’aucune manière de déficit ou d’insuffisance par rapport aux principes sus-évoqués.
La question suivante serait de savoir comment convaincre les décideurs politiques de sa légitimité à produire, mobiliser à leur profit des données probantes pour informer les processus décisionnels dans lesquels ils s’engagent. Nous avons identifié trois axes majeurs que sont : (i) Emprunter la légitimité des autres, (ii) se conformer aux normes locales en matière de données et de pratiques, et (iii) garder son indépendance.
Emprunter la légitimité des autres. La question de la légitimité vient notamment du fait que la plupart des organisations (comme ACED) qui travaillent dans l’écosystème de promotion de l’utilisation des données probantes ne font pas partie du système étatique. Il s’agit donc d’acteurs « externes » qui cherchent à contribuer à des processus gouvernementaux qui n’ont pas souvent réservé une place explicite à cet effet. En règle générale, l’écosystème des données probantes dans chaque pays dispose déjà d’organes institutionnalisés pour produire, mobiliser et faciliter l’utilisation des données probantes. Ces organes par défaut jouissent d’une légitimité qui peut servir. C’est le cas des universités et instituts de recherche, des instituts en charge des statistiques, des observatoires ou cellules d’évaluation, etc. Il s’agira donc de s’allier et au besoin opérer avec ou au travers des instances nationales dont la légitimé fait déjà consensus.
Se conformer aux normes locales en matière de données et de pratiques. Les décideurs politiques ont compris (à raison) la sensibilité des données et la nécessité de contrôler sa production, sa qualité, son opportunisme et surtout sa diffusion. Il s’agira donc de ne pas se positionner en fact-checkers ou en donneurs de leçons mais en se conformant aux règles et en travaillant à faire avancer les processus de contrôle qualité dans un esprit de collaboration et non de condescendance. Il est également essentiel de reconnaître aux Etats leur droit de censurer des données pour des raisons stratégiques et politiques, pour autant que cela n’entache pas la morale, l’équité et la justice.
Garder son indépendance. Les décideurs politiques ont une longue habitude du recours aux cabinets et expertises pour les accompagner dans les processus décisionnels. Ces collaborations sont basées sur un modèle de prestation qui peut compromettre l’indépendance et la crédibilité des données produites ou mobilisées. Il ne s’agit pas ici de faire la promotion d’un modèle d’appui pro-bono au détriment d’un modèle mercantile, mais de trouver un compromis qui soit économiquement viable pour les think tanks tout en gardant une bonne marge d’indépendance et de recul.
Ce ne sont là que quelques pistes préliminaires pour convaincre les décideurs politiques de sa légitimité. Il est absolument urgent d’approfondir les réflexions sur la question de la légitimité des think tanks dans l’écosystème des données probantes en Afrique de l’Ouest. Dans les prochains mois, ACED et ses partenaires travailleront à identifier les meilleures pratiques tant d’un point empirique que prospectif pour aider les think tanks à assoir durablement leur légitimité et donc consolider leurs actions pour faire avancer l’agenda des données probantes en Afrique de l’Ouest.